L'autobus prend son temps


Cet article a été publié le par Eric Caminade Batistin.

Le bus prend son temps, moi aussi !


Les petites écoles, les crèches, les transports publics, les hôpitaux,
tels la boulangerie, la quincaillerie, le cabinet d'assurance,
jusqu'à l'artiste de village, ou la troupe de théâtre,
tout se doit aujourd'hui d'être "rentable" pour obtenir le droit d'exister.

Rentable, c'est à dire réaliser un chiffre d'affaire suffisant pour en tirer
de quoi rémunérer les employés et payer charges et impôts obligatoires.

C'est simple, efficace, et justifié par une loi morale sous-entendue :
la valeur des "forces vives de la nation" doit procurer un bénéfice à toutes et tous.

C'est simple ! Mais à condition d'accepter que le mot "valeur"
n'ait pas plus de sens que le mot "coffre-fort".

Tout ce qui n'est pas rentable n'étant plus pris en compte par la Nation, et ses Régions,
aux finances en berne, nous avons donc pris l'habitude de confier la valeur morale
de nos institutions au Parlement Européen.
Les subventions au fonctionnement distribuées au petit bonheur la chance,
(ou à la chance d'avoir le bonheur de les recevoir !)
tiennent aujourd'hui d'une main ferme et dictatoriale toute la pensée
d'une tribu humaine en déliquescence.

Tout ce qui, je le croyais, devait nous engager vers un avenir radieux,
et forger nos caractères, ne nous appartient plus vraiment.
L'éducation, la santé, la culture, l'agriculture, ainsi que l'administration de ces services, tout,
absolument tout, des décisions prises à la rémunération des personnels œuvrant dans ces secteurs,
tout ne survit que par la manne distribuée par un dieu ayant quitté nos campagnes...
Un dieu idiot à l'esprit obtus, n'ayant d'autre Table de la Loi que celle de l’arithmétique !

Peut-on en conclure que l'Europe, beau et doux rêve de paix entre les peuples,
rêve concrétisé par nos anciens, nous a été volé pour tourner ainsi au cauchemar ?
Une paix payée au prix fort, la disparition de toute valeur morale,
remplacée par l'obligation de rentabilité...
Une école rentable !!?
Mais une Ecole, c'est par essence rentable, même si un seul, oui un seul,
un seul et unique enfant y a accès !
Un enfant éduqué, instruit, à l'esprit ouvert, ça fait toujours un terroriste de moins sur le marché
aux esclaves de la mort explosive.
Et les anciens, nos anciens, plus assez rentables, bien peu d'entre nous avons encore la possibilité
ou la force, ou même, et c'est le plus grave, l'envie, la simple envie, de les garder auprès de nous.

Mais qui donc a volé l'esprit de notre tribu, puis de notre Etat ?
Moi !

Oui, le "Moi", et ses sempiternels selfies, une longue et interminable liste d'autoportraits du "Je",
privé d’introspection réelle, façonné pour paraître, affichant sa "valeur" sans jamais l'exercer,
autoportraits virtuels dictés par une notion du temps qui s'écoule et disparaît aussi vite
que l'éphémère "valeur" du prix des patates sur le marché boursier.

Nous sommes des esclaves toujours contents de nous, toujours pressés et rentables,
puisque nous pouvons nous "raconter", nous "inventer" sans cesse
privés du temps de faire et du "savoir faire".
Et nos enfants en ont perdu leurs mains, et restent assis,
un seul doigt sur leurs "mobiles" leur suffisant pour jouer,
pour acheter, pour discuter de tout et surtout de rien, du grand rien qui nous guette !

Une grosse tête creuse et un doigt qui se regarde le nombril,
voici l'exemple que Moi et Je donnent aux suivants...

A Vergons, petit village charmant des Alpes de Haute Provence,
où la vie n'a pas encore pourtant tout à fait disparu,
il y a une école belle et bien peinte mais vide, sans cri, sans rire, sans joie,
et puis aussi un abribus avec un banc pour mourir.

Peut-être un jour nous saurons expliquer à nos gosses ce que veut dire "rentable",
mais en attendant, le bus pour la ville ne passant plus,
j'ai tout mon temps pour me souvenir...
Me souvenir de ma Vieille.
Elle qui, se souciant peu de la course du temps, plus passionnée de mon Moi que du sien,
portait toujours sur sa robe un tablier, un pour la cuisine, un autre pour le potager,
et n'a jamais eu honte à m'apprendre le sens du profit :
"Une chose qui ne sert qu'à croître, mais pas à se grandir"


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